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Figure de l’eau

        L’eau est l’objet d’une rencontre * qui nous invite à méditer sur la nature des choses. Si l’eau évoque la fluidité et des notions ambivalentes, elle est ce qui résonne avec un être qui se trouve en nous. Or nous ne pouvons véritablement savoir ce qui se passe en nous, dans notre for intérieur, tout comme
nous ne pouvons juger de la profondeur de l’eau.
        En s’appuyant sur une pensée du Vide et du Plein, l’eau est ce qui permet de penser les origines, les caractères et la forme. Les philosophies orientales n’avaient-elles pas pour projet d’aborder une sorte de vérité englobant toutes les autres, un principe cosmologique, universel, tout en oeuvrant à partir du Vide ? De même, n’est-ce pas une logique d’englobement fluide et circulaire, qui ouvre autant qu’elle pose, à l’origine de toute chose autant qu’elle en est la fin, qui nous interroge ? Dès lors, ce à quoi aspire l’artiste, en se portant sur des terrains encore à découvrir, consiste sans doute à percevoir une sorte de déjà-vu, c’est-à-dire une réalité déjà éprouvée par ses ancêtres.
        L’eau, en effet, tout comme le souffle, apparemment inconsistant, pénètre partout et anime tout. En tout lieu, le Plein investit le visible de la matière et le Vide en structure l’usage. Par conséquent, peut-on imaginer une quelconque relation entre une vision métaphysique de l’homme et la nature fluide et plurielle de l’eau ? Plus précisément, la psyché humaine, la manière avec laquelle les émotions s’élancent en nous, ou bien la façon avec laquelle nous appréhendons le monde, ont-elles à voir avec le caractère fluide de l’élément liquide ?
La thématique de l’eau invite à poser la question des limites de l’homme, de son humanité, face au milieu qui l’environne.
        De plus, l’eau pose à l’art la question de la mobilité des représentations et de la consistance véritable de ses images. C’est pourquoi l’artiste articule constamment les surfaces et les profondeurs car, d’un côté, l’eau ne fait que refléter des apparences illusoires, de l’autre, elle dissimule des vérités enfouies. En considérant l’eau pour son caractère sans cesse changeant et sa capacité à dévoiler ce qui l’environne, l’image ainsi réfléchie invite à s’interroger sur sa nature : que désigne en effet une telle image ? Peut-on dire que l’eau est l’image d’elle-même ? Comment appréhender une image qui se veut mobile ? De même, dans ce qui n’est pas reflété à la surface mais choit au fond de l’eau, dans ce qui n’est pas visible, que dire ? La surface de l’eau qui se présente à nous, mais aussi le fond de l’eau qui nous est dissimulé constituent comme deux facettes d’un monde virtuel, même s’ils se présentent à nous sous sa forme réelle. C’est en s’interrogeant sur une métaphysique de la fluidité que l’artiste peut entreprendre une étude de la notion de virtualité.
        Le fond de l’eau est peut-être un puits du temps, un passage de la vie à la mort ou un monde qui tourne sans cesse et qui mélange toutes les choses sans ordre. Il contient tout, comme le calme et le silence contiennent la violence et l’angoisse. Mais qu’est-ce que cette image du fond de l’eau en coalescence avec la surface de l’eau ? Qu’est-ce qu’une image qui d’une certaine façon s’avère duale, ambivalente ?
        Au coeur d’un réseau d’informations, le corps peut être perçu comme une source d’énergie, une source de signifiants. Nous évoluons dans des réseaux de réseaux où priment les relations et les rapports de fluidité. Si l’art à travers la fluidité interroge la consistance du monde, il permet également d’en percevoir la dimension contemporaine, dès lors que l’eau est la figure permettant d’imager ces réseaux qui s’étendent et se propagent, se font et se défont inlassablement.
 
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* Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 2008, p.182.
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